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Le sexage dans l’oeuf se développe

Après plusieurs années de recherche, la start-up germano-hollandaise Seleggt propose depuis novembre une technique permettant d’éviter l’abattage controversé des poussins mâles. Le surcoût est de deux centimes par oeuf.

Cela fait déjà plusieurs années que des équipes de chercheurs du monde entier font la course pour mettre sur le marché une technique économiquement viable de sexage des poussins avant leur éclosion. Des projets concurrents existeraient au Canada, en Hollande, en Allemagne… En France, la course a été lancée en 2015, peu après la diffusion d’une vidéo de L214, qui mettait en avant un cas particulièrement cruel de traitement des poussins mâles dans un couvoir breton. Le film rappelait au grand public, qui bien souvent l’ignorait, que les poussins mâles de la filière poules pondeuses, 50 millions par an, étaient abattus peu après l’éclosion. Dès lors, la filière devait bouger.

Après cette vidéo qui fit grand bruit dans la presse, le ministère de l’agriculture décida de lancer rapidement un projet de recherche financé sous les budgets du programme d’investissement d’avenir (PIA). Le concours de l’État s’élevait à 4,3 millions d’euros, pour un coût total du projet estimé à 10,6 millions d’euros, confiés à une entreprise française spécialiste de l’optique, Tronico, avec comme partenaires un sélectionneur de volailles (Sasso), et deux laboratoires associés au CNRS (Gepea et Sys2diag). Mieux que les projets allemands, le projet français promettait un sexage avant incubation, c’est-à-dire juste après la ponte.

2 centimes par oeuf

Dans cette course, les Allemands semblent avoir pris une longueur d’avance. Comme en France, le ministère de l’agriculture avait investi fortement pour aboutir à une alternative au broyage des poussins : environ 5 millions d’euros, notamment dans la recherche réalisée par l’université de Leipzig. La technique des Allemands est simple (sur le papier) : un prélèvement de liquide amniotique dans l’oeuf effectué neuf jours après la ponte, qui permet de détecter le sexe de l’embryon. À l’occasion du salon Eurotier (Hanovre), la start-up Seleggt, qui exploite le brevet, a annoncé en grande pompe le début de la commercialisation de sa technologie.

Cette start-up est en fait une joint-venture entre un couvoir hollandais HatchTech B.V. et un distributeur allemand, Rewe, qui distribue déjà ces oeufs dans 380 supermarchés. Le modèle économique annoncé est original : « Nous offrons le sexage in ovo aux couvoirs, qui ne subissent pas de surcoût sur les oeufs qu’ils achètent, ni sur quelque matériel à acheter, explique Ludger Bruloh, patron de Seleggt. Par contre, nous nous adressons aux distributeurs qui s’engagent à nous reverser deux centimes d’euros par oeuf provenant de notre société ». Seleggt prévoit ainsi de vendre un million de poulettes sur l’année 2019. Sur cette première année, la plupart de ce marché devrait être capté par l’Allemagne.

En France, la start-up Poulehouse a pris la balle au bond. Née il y a deux ans, cette société dont le slogan a le don d’agacer les représentants de la filière (« l’oeuf qui ne tue pas la poule ») est en contact de longue date avec Seleggt. « Depuis le début, nous avons identifié et contacté tous les projets dans le monde, nous avons été les plus actifs », explique Fabien Sauleman, co-fondateur de Poulehouse. Sa société a négocié d’obtenir 1 000 poussins, livrés le 17 avril, sélectionnés grâce à la technique allemande. Un volume symbolique pour cette société qui commercialise déjà 250 000 oeufs par mois, mais une belle façon de se faire de la publicité, grogne-t-on dans la filière. L’ONG Welfarm a d’ailleurs beaucoup parlé de cet événement, car elle souhaite que la mise en oeuvre du sexage intervienne le plus rapidement possible en France. Une campagne de communication est prévue dans les prochains mois sur ce thème, en septembre, lorsque les premiers oeufs de Poulehouse seront commercialisés.

La technique optique française patine

En attendant, de ce côté du Rhin, le développement du sexage a pris du retard. Les professionnels hexagonaux attendent la mise sur le marché de la technique française, qui a les faveurs de la filière. Les professionnels de l’oeuf mettent en avant son caractère non intrusif (grâce au choix de l’optique) et potentiellement moins coûteux.

Problème, le projet français connaîtrait des difficultés. Les dernières nouvelles ne sont pas prometteuses, au contraire. Selon deux sources – l’une professionnelle et l’une welfariste – présentes lors d’une réunion du Conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale (Cnopsav), fin mars, le ministère de l’agriculture y aurait annoncé que l’entreprise qui pilote les recherches, Tronico, a récemment mis de côté la technologie optique sur laquelle elle concentrait jusqu’ici ces efforts, faute de résultat satisfaisant.

L’entreprise se tournerait désormais vers des techniques proches de celle proposée par l’entreprise allemande Seleggt. Le cabinet du ministre de l’agriculture n’a pas confirmé – ni infirmé – l’information. En 2015, la durée estimative du projet était de deux ans et sept mois jusqu’au test du prototype en couvoir. Le prototype devait être réalisé en 2017. Pour l’instant, aucun nouveau calendrier n’aurait été annoncé.

Le processus de Seleggt

Au bout de neuf jours dans l’incubateur, l’oeuf est sorti et placé dans une position spécifique pour qu’un capteur vérifie s’il est fécondé (1). Si c’est le cas, des lasers créent un trou fin dans la coquille pour extraire une quantité minime de liquide amniotique (2). Si l’embryon est femelle, les gouttes récupérées contiendront du sulfate d’estrone, et le marqueur changera de couleur (3). Les mâles sont alors transformés en nourriture, tandis que les femelles retournent dans l’incubateur dont elles sortiront au 21e jour d’incubation.


Avis divergents dans la filière

Chez les représentants de l’interprofession de l’oeuf (CNPO), les avis ne sont pas encore arrêtés sur la position à suivre. De l’avis du président Philippe Juven, la technique allemande serait trop coûteuse, et pas encore au point : « Économiquement, je ne vois pas comment cela peut tenir, explique-t-il. Et sanitairement cela nécessite beaucoup de manipulations. Ce n’est pas encore au point, il faut laisser les entreprises évoluer. »

Du point de vue de Ludovic Duriez, administrateur du CNPO et directeur général d’OEufs de nos villages : « Si c’est deux centimes de l’oeuf, nous y arriverons, nous n’avons pas le choix, il faut y aller. » Avec le débecquage, sur lequel des essais sont actuellement conduits pour l’éviter, c’est selon lui l’un des principaux « cailloux dans la chaussure » de la filière.


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